À mon corps de maman

Mes premières vergetures sont apparues à quatre mois de grossesse. Je n’avais ce jour-là aucune idée de l’ampleur qu’elles allaient prendre, mais j’avais compris une chose.

Mon corps devenait celui d’une autre. 

Il ne serait plus jamais le même… et je craignais d’oublier ce qu’il avait un jour été.

Je n’avais pas eu le temps de faire mes adieux, car j’étais trop excitée par l’arrivée de ce nouvel être. Je changeais à vue d’œil, tout gonflait : mes seins, mon ventre, mes hanches, mes cuisses, mes joues et même mon entrejambe ! Pourquoi personne ne m’avait encore dit que ça changeait dans ce coin-là aussi ?

J’angoissais… jusqu’à ce que les vergetures grimpent davantage sur mon côté droit, là où ma cocotte posait toujours ses petits pieds derrière ma bedaine.

Et là, j’ai compris… c’était elle qui créait ces marques ! 

C’était l’empreinte qu’elle gravait sur mon corps.

Ses premiers dessins.

Sa signature personnelle.

Petit à petit, j’acceptais les rénovations qu’elle effectuait dans sa maison – même si, en temps normal, c’était moi, l’architecte.

Puis, elle est venue au monde. 

La peau de ventre a fripé, le double menton n’a pas démissionné et mes seins tombaient comme s’ils faisaient la baboune. Et les poches en dessous des yeux, faut-il les nommer aussi ?

Je me regardais dans le miroir tous les soirs, j’analysais un corps devenu étranger. Parfois, j’aimais ce que j’y trouvais. D’autres fois, j’évitais de me zyeuter trop longtemps.

Puis, à un certain moment, il y a eu un déclic. Je berçais ma fille, lovée dans mes bras, appuyée sur mon ventre, son ancienne demeure. Je regardais ce que j’avais créé, à partir de rien, grâce à mon corpsmon petit bébé.

J’ai compris que mon corps n’était pas devenu celui d’une autre, comme je l’avais cru au départ… Mais celui d’une mère. 
 

J’étais maman, j’avais toujours voulu être maman et maintenant que je l’étais je n’aimais pas le corps de maman qui venait avec ? M’étais-je réellement attendu à ce qu’un tel miracle se produise sans quelques preuves que ce soit arrivé ?

J’ai cessé de réprimander mon corps de ses changements et je l’ai plutôt remercié pour son travail. 

Je l’ai remercié d’avoir porté un bébé en bonne santé.

Je l’ai remercié de m’avoir permis de le mettre au monde sans complications.

Je l’ai remercié de me permettre d’offrir la vie, mais aussi le réconfort de mes bras et le lait de mes seins. La vibration apaisante de ma voix qui chante. Les ressources nécessaires en moi pour passer les nuits blanches. 

Mon corps est un miracle à l’origine de tout ce qui fait de moi une mère. 

Mes vergetures, mes seins mous et mon ventre flasque ne sont pas des sacrifices.

Ce sont les souvenirs d’un long voyage de neuf mois

Ce n’était pas le prix à payer, mais une récompense éternelle. 

Un jour mon bébé sera plus grand et je n’aurai pas besoin de regarder derrière en me demandant si c’était vraiment arrivé.

Je n’aurai qu’à flatter les douces ondulations sur mon ventre comme si je regardais de vieux albums photo.

Je n’aurai qu’à sourire en me souvenant qu’il y avait un jour une petite artiste qui faisait de moi sa première œuvre d’art.